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Historique
de la marque :
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En imposant des taxes douanières prohibitives, en 1902,
le gouvernement français n’imaginait pas qu’il allait border
douillettement le lit d’un nouveau constructeur d’automobiles venu
de Suisse. Et qui, au fil des ans, allait s’imposer comme le cinquième
producteur de l’hexagone, taillant de sévères croupières à Citroën.
L’ironie de l’histoire est riche de ces exemples de protectionnismes
forcenés qui se retournent contre leurs auteurs. Et Jérôme Donnet a dû
en sourire plus d’une fois.
L’aventure des plus français de nos Suisses commence à Neuchatel, en
1896. C’est là, dans un petit atelier, que l’ingénieur Ernest Zürcher
s’installe. Dès l’année suivante, il démarre la fabrication des
premiers moteurs de motocyclettes suisses. Devant le succès, il
s’associe avec un mécanicien peu réputé, Herman Luthi, pour fonder
la société Zürcher et Luthie & Cie. Les commandes affluent et les
petits locaux s’avèrent trop exigus. Premier déménagement pour
Saint-Aubin, à quelques sauts de puce de Neuchatel. La même année, la
marque Zedel (prononciation phonétique des initiales des deux
créateurs)
est déposée et, en janvier 1901, c’est la création de la société
Zedel S.A..
L’histoire, la grande, est en marche. L’année suivante, riche de
ses 130 employés et d’un carnet de commandes gonflé à bloc,
l’entreprise envisage de développer ses exportations vers la France
voisine. Le marché est juteux et le matériel Zedel bénéficie, déjà,
d’une solide réputation de robustesse et de fiabilité. Un accord est
rapidement conclu avec la marque de cycles français La Victoire. Et
c’est alors qu’intervient notre gouvernement qui décide
d’augmenter brutalement les droits de douane pour “taxer ces matériels
étrangers qui menacent l’industrie nationale”.
C’est mal connaître les industriels suisses qui, loin de se laisser
abattre par ce coup du sort, décident d’expatrier une partie de leur
activité en France. Plus précisément à Pontarlier, la ville frontière
la plus proche de Neuchatel. Dans un minuscule atelier en bois construit
à la va-vite, quelques mécaniciens de l’usine Zedel de Saint-Aubin
vont ainsi assembler des moteurs de motocyclettes qui peuvent se flatter
du label “made in France”. Très vite, la petite unité de
production va grossir, des accords avec d’autres marques étant
conclus et l’atelier se transforme en véritable usine, employant, le
plus souvent, des ouvriers... suisses.
Mais, à grandir trop vite, on se heurte à des soucis financiers et, en
1906, les fournisseurs se montrent peu coopératifs et, surtout, peu
patients. Les délais de paiement se sont allongés et l’un d’eux en
profite pour prendre la majorité des parts. Suggérant, dès son
arrivée,
une réorientation de l’entreprise vers la fabrication
d’automobiles. Ernest Zürcher refuse. Mais il ne contrôle plus son
entreprise et, pire, au mois de mai 1907, il se voit contraint de céder
sa succursale de Pontarlier à l’un de ses plus gros fournisseurs,
Samuel Graf. Désormais, entre l’usine suisse de Saint-Aubin et
Pontarlier, le divorce est consommé. Et, si la production de moteurs de
motocyclettes se poursuit en France, c’est en parallèle de l’étude
d’une automobile Zedel.
Zürcher
est... viré !
Ce premier modèle est annoncé en même temps que le départ
forcé d’Ernest Zürcher, coïncidence qui a, longtemps, entretenu
quelques doutes sur la nationalité et l’origine du dessin de cette 4
cylindres, type B 7/8CV, construite à 97 exemplaires la première
année.
En 1908, Ernest Zürcher et la firme française en revendiquent,
d’ailleurs, la paternité, chacun de leur côté. Pas seulement pour
la gloire. Mais bien pour obtenir les droits d’exploitation de la
marque Zedel. C’est la justice qui tranchera et donnera, finalement,
raison à la France. Le fondateur suisse perdant ainsi tous ses droits,
et notamment celui d’utiliser la marque... Zedel en France ! Un comble, d’autant qu’il est vraisemblable que c’est bien Zürcher
qui a dessiné le premier moteur automobile Zedel !
Entre 1908 et 1914, sous l’impulsion de Samuel Graf, la production des
autos Zedel va progressivement se diversifier. Au modèle B du début,
succèdent les modèles 4 cylindres CA, CB, CC, CG, CF et un type D plus
puissant, décliné en variantes DB et DBS. En 1910 apparaît le type E,
beaucoup plus moderne de conception et qui va dynamiser l’image de la
marque. Puis viendront les modèles CI, assez largement répandus, et le
type H 3563 CC, à la diffusion plus confidentielle. Toutes ces autos
sont plutôt destinées à une clientèle aisée, notables, médecins,
industriels, voire artistique ou mondaine. Allant jusqu’à séduire
les hautes têtes couronnées. Zedel exporte également sa production,
principalement en Grande-Bretagne, en Italie et même... en Suisse ! Au
grand désespoir d’Ernest Zürcher.
Première
catastrophe
La déclaration de guerre d’août 1914 provoque, comme chez
tous les autres constructeurs, un coup d’arrêt brutal. Et, s’il est
malgré tout possible de poursuivre l’assemblage des voitures (la
plupart des ouvriers sont de nationalité suisse), les moyens
d’approvisionnement en matière première et les débouchés se
restreignent de plus en plus. Peu après, l’entreprise est réquisitionnée
pour fabriquer des obus et une partie du personnel français se trouve
mobilisé. Plus grave encore, certaines éléments de valeur (suisses)
en profitent pour quitter l’usine.
La paix revenue, Samuel Graf ne peut que constater les dégâts. A
l’image du pays tout entier, son outil de production est totalement
désorganisé.
Pour reprendre la production des automobiles, il faut se contenter
d’utiliser les stocks d’avant-guerre et remettre sur un marché
exsangue les modèles CE, conçus en 1913 et 1914. Mais, début 1919,
Samuel Graf est pessimiste et il décide de passer la main. Il trouve
facilement un repreneur en la personne de Jérôme Donnet, un important
industriel, lui aussi d’origine suisse. Ce dernier a travaillé en
France entre 1914 et 1918 et il s’est illustré dans la construction
d’hydravions de guerre sous les marques Donnet-Lévêque puis
Donnet-Denhaut. Et glanant, au passage, l’immense fortune qui lui
permet d’acquérir les usines Zedel en juillet 1919.
Stimulée par cet apport conséquent de capitaux frais, la fabrication
des automobiles Zedel peut reprendre. D’abord avec la production, en série
limitée, de véhicules robustes mais relativement luxueux et chers, la
version améliorée de l’ancien modèle CE, baptisée CES. En 1920,
sort enfin la première voiture réellement nouvelle, le type P,
destinée,
elle aussi, à une clientèle fortunée. Et il faudra attendre 1921 pour
voir l’entreprise modifier sensiblement son orientation, avec le modèle
C15 (4 cylindres, 70 x 120 mm), destiné à être produit en grande
série.
L’ultime évolution de cette voiture aboutissant, en 1922, à la
populaire et robuste C16 (11 CV), qui survivra jusqu’en 1929, et même
jusqu’en 1933 dans sa version utilitaire.
Démocratisation
Mais le véritable tournant de la production n’apparaît
qu’en janvier 1924 avec la sortie de la petite 4 cylindres type G (7
CV). Une sortie qui coïncide avec un changement d’appellation de la
marque qui devient désormais Donnet-Zedel, Jérôme Donnet souhaitant
ardemment associer son nom à celui de “ses” voitures.
Parallèlement,
les C16 (11 CV) sont également débaptisées, sans pour autant avoir
subi de modifications notables. Tandis que ces dernières restent
assemblées à Pontarlier, la nouvelle type G doit émigrer, faute de
place. C’est ainsi qu’une ancienne usine de Gennevilliers est
transformée en unité de fabrication des moteurs destinés à cette 7
CV. Les châssis étant montés dans l’ancienne usine de fabrication
des hydravions Donnet, dans l’Ile-de-la-Jatte et les carrosseries étant
réalisées dans un troisième atelier, installé à Neuilly.
Très vite, la voiture connaît un succès considérable, ce qui incite
la direction de la société à regrouper, dès 1925, toute sa
production automobile autour de Paris. Un terrain ayant appartenu à la
firme Vinet et Deguingaud est loué, puis acquis, à Nanterre. On y
commence la construction d’une imposante usine sur cinq niveaux (100 m
x 100 m), destinée à recevoir des chaînes “à l’américaine”
pour produire les futures 4 et 6 cylindres en projet.
L’inauguration de la nouvelle usine est, également, l’occasion de
changer, une fois de plus, le nom de la marque. C’est ainsi que, en
mai 1926, les nouvelles autos s’appellent désormais Donnet. Exil
Zedel. Deux modèles constituent alors le fonds de roulement : les type
G2 (7 CV) et C16 (11 CV). Bientôt suivis par un luxueux type K (6
cylindres), dont le moteur, dessiné par l’ingénieur Sainturat,
comporte un vilebrequin à 7 paliers ! Simultanément, l’usine de
Nanterre s’équipe, vampyrisant l’outillage de Pontarlier (l’usine
du Doubs fermera définitivement ses portes en 1929). La politique
commerciale de l’entreprise est désormais plus moderne, plus
dynamique et, à partir de 1926, un service course est créé, animé
par l’ingénieur Etienne Lepicard.
La marque Donnet se fait alors mieux connaître en France. Un réseau
d’agents se développe, et l’exportation est considérablement
stimulée. En 1927, un journal d’entreprise est même lancé,
l’utilisation de la publicité se généralise dans la presse
spécialisée,
mais également au bord des routes. La production Donnet aborde alors
timidement les utilitaires lourds et, en 1927, Donnet parvient à se
hisser au cinquième rang des constructeurs français, coiffant d’une
courte tête Chenard & Walker.
Descente
aux enfers
Mais cet effort de modernisation, qui nécessite de
prodigieux investissements, va précipiter l’entreprise au bord du
gouffre. Car, alors que l’usine commence tout juste à produire à
plein régime, la crise mondiale de 1929 provoque un effondrement de
tous les marchés. Les nouveaux modèles de la série C17 (4 cylindres,
7 CV) et CI10 (6 cylindres, 10 CV) se vendent difficilement, alors
qu’ils sortent massivement de chaîne. La direction cherche alors des
remèdes et, comme souvent, tranche partout où elle peut. Licenciements
colossaux, réduction des frais de publicité, suppression du service
course... Mais cela s’avère vite insuffisant. C’est alors la fuite
en avant. Avec la production de nouveaux modèles : une 4 CV à moteur 2
temps/2 cylindres dessinée par Violet et une traction avant imaginée
par Grégoire. Mais le développement de ces nouvelles voitures demande
encore et toujours des investissements. Et le crédit se fait rare. Un
appel de fonds en bourse se révèle désastreux. Et il ne fait plus guère
de doute, fin 1932, que l’opération survie n’a fait que retarder
une échéance inéluctable.
Faute d’avoir pu développer des autos réellement modernes, ce sont
les anciens châssis qui assurent le quotidien. Débaptisés pour tenter
de convaincre une trop rare clientèle. On verra ainsi apparaître la
Donnette (4 CV avec moteur 2 temps), la Donnastar (8 CV), la Donnarex (l’ancienne C17), la Donnaquatre (11 CV), la Donnasix (11 CV) et la
Donna Super (13 CV). Un catalogue riche qui masque le rétrécissement
brutal des carrosseries proposées. Plus de torpédos, roadsters,
coupés.
Mais seulement des conduites intérieures ou coaches.
L’année 1934 est celle du coup de grâce avec la mise en faillite, le
20 décembre, de la société Donnet. Le lendemain, la firme Citroën
subit le même sort mais ira chercher son salut du côté de Michelin.
Un fournisseur, Contin, tentera bien de récupérer une partie de ses
impayés en commercialisant le stock d’invendus sous la marque
Donnet-Contin (1936), mais sans réel succès. Quant à la superbe usine
de Nanterre, vidée de son contenu, elle est rachetée, dès l’automne
1934 par un certain Henri Théodore Pigozzi qui y lancera, l’année
suivante, la fabrication des Simca-Fiat. Ce sera ensuite... Citroën qui
occupera les lieux et qui y fabriquera, jusque dans les années 80, des
éléments de la 2 CV. L’histoire a de ces raccourcis...
Aujourd’hui, un bon nombre de véhicules Zedel, Donnet-Zedel et Donnet
ont survécu (environ 1 % de la production), grâce à l’acharnement
de quelques collectionneurs, et avec le soutien efficace du Club
Donnet-Zedel, animé par Eric Lepicard, neveu de l’ingénieur Etienne
Lepicard. 500 véhicules ont été recensés à ce jour, et le club est
toujours à la recherche d’informations, photos ou documentations pour
enrichir ses connaissances.
Eric Favre
Club Donnet-Zedel, c/o Eric Lepicard, 10 rue Thiers, 76160 Darnetal.
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